Littoral
battu par les vents d’ouest
où déferlent des murs d’eau verte
Seuil insoumis vers le tout-autre
Le flux boueux du fleuve
s’y rend
livrant son spasme à la mer
âcre douceur octroyée des monts
Limon
crues et cascades
bouses des vaches alpinistes
géométries secrètes
Les araignées d’eau
tissent le cours du fleuve
de chuchottis indéchiffrables
éventrés au fracas des vagues
Jadis
sous le même soleil dur
la malaria prospérait dans la plaine
Terre de fièvres
juste bonne pour les femmes
delta de bourbe où plane un siècle après
le spectre de la malemort
cloaque ébouriffé d’eucalyptus centenaires
aujourd’hui impuissants
terrassés
Plus haut les vaches maigres
trébuchant aux galets
broutent l’herbe rare née du limon
le fleuve amant fébrile
se fraie encore sans relâche
un passage au giron des vagues
et elle résiste
la mer
comme une fille qu’on veut forcer
se cabre et crache des remparts de sable
embouchure obstinée ensevelie
au tango des tempêtes
il pousse elle cède en résistant
Terre de femmes
terre d’été
des enfants nus se jettent à l’eau
leurs cris d’une rive à l’autre
Hier
le feu du ciel était dur dans la plaine
tout le jour
ils récoltaient l’arba tavaccu
la Kentucky nouvelle aux feuilles longues
velues immenses
enfilées en guirlandes
« et ça collait aux mains ça collait »
une voix s’en souvenait encore
l’été dernier
les mémoires de la plaine
coulaient de lui
comme le limon de sa source montagneuse
« et cette odeur, si vous saviez… »
oui vireuse entêtante
le poison cru
sa couche visqueuse aux paumes
vaincue seulement
par la chair acide des tomates vertes
Trois quarts de siècle après
il refaisait le geste
sourire prognathe
se frottait les paumes
cette joie qu’il avait de dire
Puis refluait dans sa cabane
y cuisait trois courgettes
fenêtre ouverte
radio à fond
goûtant un paso doble de toutes ses oreilles sourdes
Il est mort juste avant cent ans
Personne ne viendra plus le trouver
lui et ses baguettes
pour dénicher l’eau
tapie sous la surface
personne ne l’a pleuré
sinon le fleuve
et tous ses affluents secrets
veines blanches de la terre encore vierge
un enfant du limon retourné au limon
un fils du Liamone un frère
un paisanu
Le fleuve charrie sa boue
comme il emportera un jour la mienne
grossir les alluvions engraisser la plaine
Mais l’âme – sa – mémoire –
qui n’a jamais été sourde
elle vire à contre-courant
s’envole file sous le pont de Trughja
et
Arburi Rosazia Vicu Murzu Letia
remonte le cours de l’eau
bousculant gerridés et tétards dans leur trous
glisse
cristal ivre d’amont
à Cimatella
nul ne l’attend
pas un crétin en quad
pas un touriste pas un grimpeur
Personne
pour empêcher
l’esprit du vieux sourcier de s’unir à la Source.
(in memoriam A. Adami, sourcier du village de Casaglione, 1914-2014)
Limon/Liamone
Littoral
Beaten by the western winds
where walls of green water break
insurgent threshhold toward the all-other
The muddy flux of river
goes
bringing its spasm to the sea
the mountain’s acrid sweetness granted
Silt
hollows and cascades
dung of alpine cows
secret geometries
spiders of water
weave the river’s path
of indecipherable whispers
ripped open to the racket of waves
In other times
under the same hard sun
malaria prospered on the plain
Land of fevers
Good enough for women
mucky delta where a century later
cruel death floats
cesspit disheveled by ancient eucalyptus
now powerless
layed low
higher up the thin cows
stumble over pebbles
graze the rare grass born of silt
the fevered lover river
still makes its way relentless
to the breast of the waves
and she resists
the sea
like a struggling girl spits up ramparts of sand
foul-mouthed obstinate buried
in a tango of storms
being pushed she cedes as she resists
Land of women
earth of summer
naked children throw themselves in water
crying across the riverbanks
Yesterday
the fire of sky was hard on the plain
all day
they gathered the l’arba tavaccu
long leaves of Kentucky tobacco
immense and hairy
woven into garlands
“and it sticks to the hands it sticks”
a voice still remembered
last summer
the memory of the plain
flowed with it
like the silt from a mountain spring
“and the smell, if you knew…”
yes toxic heady
raw poison
the viscous layer on the palms
cut only by the acid flesh of green tomatos
three quarters of a century later
he repeated the gesture
the underbitten smile
rubbed himself with his hands
this joy of speaking it
then flowing back into his hut
and cooking three zuchinis
the window open
radio blasting
trying a paso doble on the fullness of his deaf ears
He died just before 100
Nobody will come to find him anymore
He and his sticks for divining water
hidden under the surface
nobody cried for him
if not the river
and all her secret streams
white veins of the still pure earth
a child of silt returned to silt
a son of Liamone a brother
a paisan
the river carries his mud
as one day it will carry mine
to impregnate the alluvium fatten the plain
But the spirit – his – memory –
that has never been deaf
she veers against the current
soars spins beneath the Trughja bridge
and
Arburi Rosazia Vicu Murza Letia
climbs the path of water
pushes water spiders tadpoles in their holes
glides
drunken crystal streaming up
to Cimatella
nothing waits there
not a cretin on a quad
not a tourist not a hiker
Nobody
to inhibit
the old sorcerer’s spirit from uniting with the Spring.
(in memoriam A. Adami, dowser of the village of Casaglione. 1914-2014)
English translation by Cynthia Mitchell
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